L’essor sous la monarchie de Juillet (1826-1848)

Re-créée comme « école préparatoire » par l’ordonnance du 9 mars 1826, l’École normale retrouve son nom en 1830. Le contexte politique et intellectuel de la monarchie de Juillet favorise le développement de la bibliothèque.

Herminie Mutel, Portrait de Joseph Daniel Guigniaut, aquarelle, 1834. École normale supérieure, bibliothèque Ulm-LSH<br />

Herminie Mutel, Portrait de Joseph Daniel Guigniaut, aquarelle, 1834. Bibliothèque Ulm-LSH

L’École, d’abord installée dans les combles du lycée Louis-le-Grand, retourne au collège du Plessis en 1828. À partir de 1829, sous la direction de l’helléniste Joseph-Daniel Guigniaut (1811 l), une nouvelle bibliothèque est créée. Alimentée par des dons de professeurs ou d’anciens élèves, cette collection est modeste : moins de quarante volumes sont inventoriés en 1829-1830.

La révolution de Juillet change la donne. À la tête de l’administration nouvelle figurent de fervents partisans de l’École. Dès le 6 août 1830, l’École préparatoire retrouve son titre d’ « École normale ». Le même jour, Victor Cousin (1810 l) est nommé professeur à la Sorbonne, titulaire de la chaire de philosophie. Maître de conférences d’histoire et de philosophie à l’École normale et suppléant de Royer-Collard à l’Université dès 1815, il avait dû abandonner ce poste en 1820, mais la monarchie de Juillet le mène aux plus hautes fonctions : membre du conseil royal de l’Instruction publique, d’où il supervise l’École normale, il en est nommé directeur en 1835, fonction qu’il exerce jusqu’en 1840, date à laquelle il devient ministre de l’Instruction publique. Il soutient activement « sa très chère École normale », « à laquelle son cœur se prodiguait, parce qu’il y voyait l’avenir de la science et une pépinière de penseurs et de philosophes » (Jules Barthélémy Saint-Hilaire).

Arrêté du ministre de l'Instruction publique chargeant Viguier, inspecteur d'académie, de prendre soin, conjointement avec Laromiguière, de la restitution des livres de l'École normale, 21 juillet 1832. Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne, Ms 1607, f. 42<br />

Arrêté du ministre de l'Instruction publique, 21 juillet 1832. Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne, Ms 1607, f. 42. Disponible en ligne sur Nubis : https://nubis.univ-paris1.fr/ark:/15733/417f

Sous l'égide de Victor Cousin, la bibliothèque connaît une croissance inédite. En effet, le 21 juillet 1832, le ministre de l’Instruction publique, Amédée Girod de l’Ain, ordonne le retour à l’École normale des collections rassemblées sous l’Empire et la Restauration que l’Université avait gardées après la suppression de l’École en 1822. Épagomène Viguier (1811 l), un proche de Victor Cousin, maître de conférences à l’École normale de 1815 à 1822, puis inspecteur d'académie, est chargé, conjointement avec Pierre Laromiguière, élève de l'École normale de l'an III, philosophe et bibliothécaire de l'Université de 1804 à 1837, d'organiser le retour des livres à l'École normale.

Laromiguière tente avec véhémence de s’opposer à cette restitution, arguant de l’intérêt scientifique de ces ouvrages et de leur nécessité pour les lecteurs de la Sorbonne. Dans le brouillon de sa lettre du 9 août 1832 au ministre, il insiste sur la perte causée par le retour des livres de l’École normale : « Quelle sera la situation des malheureux bibliothécaires, lorsque à toutes les demandes qu’on leur fera (et l’on ne demande guère que les livres que nous enlève l’école normale), ils seront obligés de répondre, la rougeur sur le front, qu’ils n’ont pas les livres les plus classiques ?... Sur les quarante mille volumes que nous possédons, il n’y en a presque pas qui aient été acquis depuis cinquante ans. Or qu’était à cette époque la physique telle qu’on l’enseigne aujourd’hui ? Qu’étaient la chimie et les sciences naturelles ? Qu’étaient même les éditions des classiques anciens ?... »

Ces protestations sont vaines ; le 16 octobre 1832, les livres sont finalement restitués à l'École, à quelques exceptions près.

Inventaire, par ordre d'acquisition, du nouveau fonds de la Bibliothèque de l'École Normale à partir de l'année 1829, 1829-1846, p. 36-37. Bibliothèque Ulm-LSH, AB 148

Inventaire, par ordre d'acquisition, du nouveau fonds de la Bibliothèque de l'École Normale, 1829-1846, p. 36-37. Bibliothèque Ulm-LSH, AB 148

D’autre part les collections nouvelles se développent considérablement, en lettres comme en sciences. Plus de 2 200 documents sont acquis entre 1831 et 1837. À partir de 1839, le rythme s’accroît : ce sont plus de 1 000 nouveaux volumes qui augmentent annuellement les collections de la bibliothèque. Si, vraisemblablement sous l’influence de Guigniaut, les années 1832-1835 restent dominées, pour les disciplines littéraires, par les sciences de l’antiquité, les thématiques de la bibliothèque s’élargissent ensuite. Le renforcement des études historiques médiévales et modernes - l'agrégation d'histoire et de géographie est créée en 1831 - ainsi que l’essor de la philologie romane font évoluer les acquisitions. Ainsi, en 1848, l’histoire représente près de la moitié des collections littéraires.