Les collections (1846-1888)

Après une période de vaches maigres sous la Deuxième République et le Second Empire, le sursaut provoqué dans le milieu universitaire par l’humiliante défaite de 1871, conjugué avec l’arrivée d’un bibliothécaire de grande envergure, marque l’essor de la bibliothèque.

École normale supérieure, Promotion de 1858, photographie, vers 1858. Bibliothèque Ulm-LSH, PHO/D/1/2

École normale supérieure, Promotion de 1858 (détail), photographie, vers 1858. Bibliothèque Ulm-LSH, PHO/D/1/2

Jules de Chantepie, futur bibliothécaire de l'École normale, est le quatrième debout en partant de la gauche.

Après la forte croissance des collections de la bibliothèque sous la monarchie de Juillet, les années qui suivent correspondent à un ralentissement notable. Entre 1843 et 1868, l’accroissement n’est pour les lettres que de 8 784 volumes, soit une moyenne de 350 volumes par an. Cet enrichissement est dû pour une part importante aux dons, qu’ils soient le fait des professeurs enseignant à l’École ou de la tutelle, le ministère de l’Instruction publique.

En 1868, l’arrivée de Jules de Chantepie change la donne ; d’abord « maître-surveillant » chargé des fonctions de bibliothécaire, il est nommé par Ernest Bersot bibliothécaire en titre en 1871 : à partir de 1872, les acquisitions en lettres dépassent le chiffre des 1 000 volumes annuels, passant même parfois la barre des 2 000 volumes. Les disciplines couvertes sont principalement la philologie grecque et latine, la littérature française classique, l’histoire ancienne et médiévale.

Numa Denis Fustel de Coulanges, Suggestion d'acquisition adressée à Jules de Chantepie, vers 1876. Bibliothèque Ulm-LSH

Numa Denis Fustel de Coulanges, Suggestion d'acquisition adressée à Jules de Chantepie, vers 1876. Bibliothèque Ulm-LSH, AB

Émile Boutroux, Suggestions d'acquisitions faites à Alfred Rébelliau, vers 1882. Bibliothèque Ulm-LSH, AB

Émile Boutroux, Suggestions d'acquisitions faites à Alfred Rébelliau (détail), vers 1882. Bibliothèque Ulm-LSH, AB

Si les acquisitions en langue allemande se signalaient déjà par leur nombre assez élevé, c’est sous Jules de Chantepie qu’elles explosent. Lucien Herr n’est donc pas à l’origine de la prépondérance de la pensée et de l’érudition germaniques qui caractérise la bibliothèque. Après un premier long stage à Zurich, Chantepie visite en 1873 les bibliothèques universitaires d’un pays, l’Allemagne, dont la victoire sur la France a été selon Renan celle « de la science et de la raison » ; il en revient avec le désir de fournir à « la jeune école… dans une bibliothèque renouvelée un instrument de travail en rapport avec les exigences actuelles de la science et de l’enseignement. »

Dans le rapport qu’il rédige à l’issue de son séjour d’étude, on peut lire en creux ce qui fait défaut à la France ; il fait part de son admiration pour le « millier de titres d’ouvrages, ou plus, qu’on achète en un an » et note : « argent, travail, autonomie, discipline, c’est ce qu’on voit dans les bibliothèques académiques d’Allemagne, et ce qui est la condition de leur prospérité. » Le rapport est également l’occasion de faire l’éloge du remarquable système d’échanges allemand, une des nombreuses innovations bibliothéconomiques qu’introduira Chantepie à l’École dans le souci de moderniser la bibliothèque. Celle-ci devient aussi attributaire des thèses publiées en Allemagne reçues par le ministère de l’Instruction publique.

En 1888, les collections de l'École sont estimées à environ 77 000 volumes pour l’ensemble des disciplines littéraires et scientifiques, soit plus de quatre fois la volumétrie de 1846. Cependant, sous la direction de Jules de Chantepie, puis sous celle d'Alfred Rébelliau, les domaines couverts pour les lettres restent traditionnels ; Lucien Herr, à partir de 1888, s’intéressera particulièrement aux « catégories de livres qui n’existaient qu’à peine, ou étaient fort mal représentées », telles que les langues vivantes, l’histoire contemporaine, la géographie et les sciences sociales.