Une bibliothèque en révolutions (1848-1852)

Dédiée à l’étude et à l’érudition, la bibliothèque de l’École normale est également ouverte à l’actualité : ses collections font écho aux débats et événements qui agitent la France des années 1840-1850.

Victor Cousin, Cours de philosophie, Paris, Pichon et Didier, 1833. Bibliothèque Ulm-LSH

Victor Cousin, Cours de philosophie, Paris, Pichon et Didier, 1833. Bibliothèque Ulm-LSH

Portée par le contexte favorable de la monarchie de Juillet, la bibliothèque de l’École conserve environ 17 000 volumes à la veille de la révolution de Février. S’y ajoutent plusieurs milliers de livres du « dépôt », bibliothèque d’usuels et de manuels largement empruntables à la disposition des élèves. Achetés en multiples exemplaires et largement empruntables par les élèves, généralement reliés en toile grise, ces documents sont des manuels de cours, des classiques et des usuels. Les pages de titre et de garde conservent les marques de leurs emprunteurs : le Cours de philosophie de Victor Cousin fut ainsi successivement utilisé par Jules Simon (1833 l), Jules Barni (1837 l), Jean Charles Lévêque (1838 l), Albert Leroy (1839 l), Charles Chappuis (1842 l), Eugène Manuel (1843 l).

Le 4 novembre 1847, à l’occasion de la séance de rentrée de l’École normale, l’inauguration officielle des nouveaux bâtiments de la rue d’Ulm est célébrée dans la bibliothèque. Parmi de nombreux représentants des mondes académique et politique sont présents Victor Cousin, Adolphe Thiers et Victor Hugo. Dans son discours retraçant l'histoire de l'École, le directeur, Paul-François Dubois (1812 l), ancien rédacteur en chef du Globe, affirme hautement devant le ministre de l’Instruction publique Narcisse-Achille de Salvandy ses convictions libérales et favorables à l’Université.

« Inauguration de la nouvelle Ecole Normale », image extraite de <em>L’Illustration : Journal universel</em>, 13 novembre 1847 École normale supérieure, Bibliothèque Ulm-LSH

H. Valentin, « Séance d'inauguration de la nouvelle Ecole Normale, 4 novembre 1847 », dans L’Illustration : Journal universel, 13 novembre 1847. Bibliothèque Ulm-LSH

Atelier Nadar, Cucheval-Clarigny, journaliste bonapartiste, photographie, vers 1900. BnF, Estampes et photographie, FT 4-NA-235 (2). Disponible en ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530660273/

Atelier Nadar, Cucheval-Clarigny, journaliste bonapartiste (détail), photographie, 1900. BnF, EST, FT 4-NA-235 (2). Disponible en ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530660273/

De fait, les débats sur l’école libre, et plus largement, sur la place de l’Église dans la société, qui animent la vie politique et intellectuelle des années 1830-1850 résonnent jusque dans les collections de la bibliothèque, qui ne se limitent pas aux ouvrages d’érudition classique, et  font écho aux événements.

Comme se souvient Alfred Mézières (1845 l) à propos de 1848 à l’École : « La révolution était dans l’air. La lecture toute récente des Girondins familiarisait les esprits avec les scènes révolutionnaires. » Le bibliothécaire lui-même, Athanase Cucheval-Clarigny (1840 l), journaliste au Constitutionnel depuis 1845 et l’un des animateurs de la revue La liberté de penser fondée par Jules Simon (1833 l), se présente, sans succès, aux élections législatives de 1848 dans le Pas-de-Calais.

Après l’installation de la bibliothèque rue d’Ulm, un registre est mis en place pour enregistrer les emprunts des fonctionnaires de l’École. Pour les années 1847-1850, ceux-ci montrent l’intérêt des enseignants pour les questions liées à l’actualité. Si l’Histoire des Girondins de Lamartine est incontestablement le livre le plus demandé, on note également le grand succès des ouvrages historiques de Thiers (Histoire du Consulat et de l’Empire). Les livres historiques ou philosophiques d’acteurs politiques du moment, par exemple Tocqueville, Lamennais, Lacordaire, Falloux - font aussi l’objet d’emprunts. 

L’avènement du Second Empire met fin à cette période libérale. Les lectures des élèves sont désormais soumises à la surveillance des autorités : outre le contrôle des livres introduits depuis l’extérieur dans l’École, il est décidé en 1853 d’imposer l’usage de bulletins de communication. En réaction, les élèves désertent la bibliothèque pendant six mois entiers. Afin d’échapper à la surveillance des lectures et des emprunts, la tentation est forte alors pour certains d’ouvrir subrepticement les vitrines grillées des armoires de la bibliothèque et d’emporter les livres sans les faire inscrire.

Bibliothèque de l’École normale. Registre d’emprunts des fonctionnaires, 1846-1851. Bibliothèque Ulm-LSH, AB 3<br />

Bibliothèque de l’École normale. Registre d’emprunts des fonctionnaires, 1846-1851. Bibliothèque Ulm-LSH, AB 3